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samedi 2 juillet 2011

La transparence économique et le capitalisme financier[1]

L'économie est maintenant complètement mondialisée. Cela veut dire que la notion de marché est traitée au niveau de la planète. Ce fameux « marché » est l'un des supports historiques du capitalisme puisqu'il est censé être l'outil automatique de fixation d'un prix juste. En effet, un marché est censé s'autoréguler et c'est là sa qualité première, en tous cas celle qu'on lui prête dans une logique libérale.

La mécanique de marché fait qu'un bien qui possède un prix se trouve en face d'un marché qui est en situation de le payer ce prix là. Si le prix augmente, par décision du fournisseur de ce bien, les acheteurs vont chercher des produits de remplacement offrant le même service, mais à un tarif moindre. Ainsi, l'augmentation du prix du bien initial sera régulée par un mouvement de moindre achat qui tendra à faire baisser le prix pour le ramener à celui que le marché est prêt à payer. C'est ce que nous connaissons tous sous le terme de « loi de l'offre et de la demande ».

Ce mode de fonctionnement décrit un système stable et donc rassurant. Il installe la logique de concurrence comme une logique de régulation encore plus efficace. En effet, s'il n'y a qu'un seul fournisseur d'un bien, la régulation du prix par le marché n'a que peu d'instruments pour agir. Selon ce dogme, la concurrence est nécessaire car elle porte en elle la stabilité des prix.

Ce raisonnement a prouvé son bon fonctionnement pendant les 30 glorieuses[2] et il a donc été facile d'en déduire une règle d'or sur le caractère incontournable et porteur de vérité de la notion de marché.

Ce modèle de capitalisme d'après guerre offrait un principe d'investissement d'argent dans des structures de production dont l'objectif est la rentabilité et le partage des profits entre les propriétaires des actifs et les salariés, parmi lesquels se trouvaient les dirigeants des structures de production.

Dans ce modèle, le retour de profit aux propriétaires était relativement modeste et, le plus souvent, ne permettait que rarement de réaliser de nouveaux investissements dans d'autres secteurs. Par exemple, une famille possédant des usines dans un secteur comme le textile vivait richement jusqu'à ce que l'industrie textile se trouve modifiée dans sa géographie par l'arrivée de nouveau acteurs. Les actifs se déprécient et plus ils se déprécient, moins il est facile de les reconvertir en d'autres actifs. Ce capitalisme là souffre donc intrinsèquement d'une instabilité sur le long terme puisqu'il ne permet que deux choses : la croissance lente ou la faillite brutale.

Cette analyse a amené, à la fin des années 70, la notion de risque dans le vocabulaire capitaliste. Nous avons donc maintenant deux notions : le marché et le risque. Le premier est un acquis prouvé et immuable, le second un danger. Comment luter contre ce danger ? La réponse apportée fut la titrisation, ou le basculement du capitalisme du monde de la consommation au monde financier.

Cette idée de titrisation est finalement très simple : il s'agit de répartir le risque au lieu de le concentrer. Décidons de rassembler un ensemble d'actifs réels dont la valeur est cumulée. Créons des titres de propriété de cet ensemble global et divisons ces titres en un certain nombre. Enfin, vendons ces titres sur un marché dévolu à cela. Le prix initial sera probablement lié à la valeur des biens réels. Ensuite, l'échange de ces titres sur ce marché, se fera sur une appréciation globale de la valeur, compensant les baisses de valeurs d'une partie de l'actif par les hausses espérées d'une autre. Le risque est ainsi réparti et donc, diminué.

Les actifs réels que sont les entreprises, les usines, les matières premières se trouvent de cette façon transformés en actifs financiers au même titre que les emprunts d'états, les obligations, les actions d'entreprises, les prêts consentis par les banques (que celles-ci titrisent également).

L'ensemble de ces titres est confié au marché des titres qui doit donc être un facteur de stabilisation, comme nous le savons. Or, il n'en est plus rien. Deux phénomènes très importants apparaissent alors parmi d'autres comme conséquence de cette approche :

  • l'instabilité du marché et la création de bulles qui en découle, prennent leurs origines dans le comportement même du marché. Nous nous référons ici à des titres de propriété, pas à des biens de consommation. En d'autres termes, quand le prix d'un titre augmente, son possesseur voit sa richesse augmenter. L'effet de marché est alors souvent un effet d'entraînement qui attire d'autres opérateurs intéressés à, eux aussi, bénéficier de cette augmentation de valeur. Cette attractivité naturelle a donc pour effet simple d'accompagner la croissance d'une tendance à la hausse. A un certain moment, si une voix suffisamment forte se pose la question du retour à la vraie valeur en regardant d'une manière objective la correspondance réelle de la valeur du titre de propriété avec celle de l'actif auquel ce titre est rattaché et que, cette valeur réelle soit très inférieure à la valeur cumulée des titres, le mécanisme de vente s'enchaîne et on assiste à un effondrement de la valeur des titres. Une bulle était née et elle a explosé !
  • la volonté de maximiser les rendements des actifs est une conséquence de la titrisation. En effet, la répartition du risque impose que certaines parties d'un portefeuille doivent présenter des profits capables d'absorber les pertes d'autres parties du même portefeuille. Cette obligation devient donc la ligne de conduite de ceux qui ont en charge la gestion des actifs réels, parmi lesquels se situent les dirigeants des entreprises du portefeuille en question. Leur mission doit donc être d'assurer le profit maximum, ce qui a comme conséquence de minimiser le risque du portefeuille tout entier et donc d'en augmenter la valeur. Comment garantir que cette mission soit correctement réalisée ? la réponse est simple : en associant la rémunération des dirigeants aux profits financiers. La méthode l'est également : une partie significative de la rémunération des dirigeants est servie sous forme de titres.

Cette logique de protection contre le risque organise une course en avant dans une mécanique d'essai de dilution de ces risques à des niveaux multiples. A ce titre, l'exemple des CDS (Credit Default Swap) me semble être une cristallisation de ce que peut engendre un libéralisme non contrôlé et des modèles économiques déliés de toute réalité concrète. Ce type d'instrument financier a au moins, selon moi, la vertu de montrer une certaine forme d'absurdité en créant un risque monstrueux à partir d'une volonté de le limiter.

Le principe du CDS est assez simple. Il s'agit d'un contrat d'assurance sur quelque chose, un titre ou un crédit par exemple. Ce contrat d'assurance a une durée limitée dans le temps ; il donne naissance au paiement d'une prime et offre des garanties face à des « événements de crédit », disons des défaillances pour rester schématique. Le CDS reposant sur une assiette qui est un marché est lui-même créateur d'un marché potentiel sur les conditions de souscription de ces contrats. Le contrat lui-même est un contrat entre deux personnes : l'assureur et l'assuré. Le montant de la prime sur la conclusion d'un contrat CDS va refléter le niveau de risque du sous-jacent. Lorsque le contrat se dénoue, soit nous sommes arrivés à la fin du contrat sans incident et l'assureur a empoché les primes, soit une défaillance a eu lieu et l'assureur a payé la valeur assurée.

Par exemple, la souscription d'un CDS de 2 ans avec une prime de 10 sur un titre qui vaut 100 à la souscription, générera un profit net de 10 au bout des 2 ans sans incident et une perte d'au plus 90 si l'assureur doit honorer son engagement suite à une défaillance.
Cet instrument financier a, par exemple, été largement utilisé par AIG (American International Group) et par la banque Lehman Brothers pour assurer les risques des prêts consentis avec de faibles garanties. C'est très probablement l'une des causes principales du début de la crise de 2008 qui a été dramatique pour ces premiers établissements et pour toute la finance mondiale.
Aujourd'hui seulement, les politiques cherchent à réguler ce marché des instruments financiers en y associant des règles prudentielles qui obligent les établissement financiers à disposer d'une part de plus en plus importante de leurs engagements financiers en fonds propres afin de garantir leur capacité à honorer leurs engagements financiers.

Pire que tout cela, il y a fort à parier que les mouvements importants identifiés sur les marchés des matières premières soient tout simplement une conséquence de l'éclatement potentiel de ces bulles encore en suspens. Il pourrait s'agir d'une forme de spéculation visant encore une fois à réduire les risques en faisant cette fois reposer les titres de propriété sur des choses concrètes, d'un besoin universel et donc pour lesquelles il y aura toujours des acheteurs. En d'autres termes, le marché de la titrisation qui cherche à dissoudre le risque, s'assure sur le marché des biens de subsistance en faisant l'hypothèse que ce marché disposera en permanence d'acheteurs solvables.

[1] Les éléments économiques de ce paragraphe sont, pour partie, issus du « Manifeste des économistes atterrés »
[2] Entre 1945 et 1975 à peu près

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